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Le jeu des quatre coings

Il était une fois (je parle d'un temps où nous ne connaissions ni le coing, ni la pomme de terre, ni le pamplemousse rose), il était une fois, dis-je, un marchand oriental qui arriva dans une grande foire avec un chargement de coings.

Chalands et négociants d'accourir : " Quelles sont, ô étranger, ces poires d'un genre nouveau, si bien rebondies et si vilainement bosselées ? " - " Ce sont, messires, des coings. Un fruit fort subtil, qui ne dévoilera ses charmes qu'à celui qui aura la patience de jouer au jeu des quatre coings. " - " Pfui, répondaient chalands et négociants, on ne vient pas à la foire pour jouer. Goûtons plutôt ! " Et croc ! Ils goûtaient... et s'enfuyaient épouvantés.

Mais voilà qu'un jeune homme vient à passer. Le marchand oriental lui proposa son jeu des quatre coings, et l'autre d'accepter. " Premièrement, dit l'étranger, tu prendras ce coing et en feras de la compote. Reviens me voir quand tu l'auras goûtée" ". Le jeune homme revint le lendemain et dit : " Maître, j'ai fait selon tes indications. Il m'en a pris deux heures de travail et de cuisson pour obtenir une compote, ma foi, fort honnête. " - " Fort bien, jeune ami. Prends maintenant ce deuxième coing, tu en feras de la gelée. Reviens me voir quand tu l'auras goûtée. L'autre revint deux jours plus tard. " Vénérable maître, je n'ai ménagé ni mon temps ni ma peine. Une nuit entière j'ai dû laisser égoutter le fruit. Mais la gelée qui en est sortie et, ma foi, la plus exquise qui soit au monde. " - " Bravo. Prends maintenant ce troisième coing, et fais-en de la pâte de fruit. Reviens me voir quand tu l'auras goûtée. " Il revint au bout de trois jours. " Mon bon seigneur, jamais dans ma vie je n'aurai tant peiné que pour cuire, égoutter et confire ce fruit. Mais quand j'eus porté à mes lèvres le résultat de mes efforts, il m'a semblé qu'il fallait être un dieu pour être digne d'un tel régal. " - " Excellent. Prends maintenant ce quatrième coing et mange-le sur-le-champ. " " Il y planta ses dents et recracha aussitôt. " Eh bien, jeune homme, qu'en dis-tu ? " - " Je dis, seigneur tout puissant, que tu m'as fait comprendre de grandes choses, mais qu'il serait bien trivial de les énoncer tout cru. Je préfère t'acheter tout ton chargement de coings. "

Après quoi le jeune homme fit fortune et devint un personnage respecté, ami de l'effort... et du plaisir.

Issy-les-Moulineaux, vers 1986.
Coquilles et syntaxe corrigées le 4 janvier 2010 grâce à mon ami René Salles.
© Dominique Lahary


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