La révolution copernicienne a commencé
Clôture du préséminaire de Blois
Congrès national de l'ABF, juin 1998
par Dominique Lahary


Le préséminaire de Blois a permis d'aborder de divers point de vue quelques-uns des changements dans l'usage que font les bibliothèques de l'informatique. Je n'en propose pas la synthèse, mais plutôt une mise en perspective, une tentative de formalisation du moment très particulier que nous sommes probablement en train de vivre.

Autant se le dire d'emblée : dans les bibliothèques, la révolution copernicienne a commencé. Le centre n'est plus au centre. Oh rassurons-nous, ce séisme ne secoue pas les étages nobles, l'essentiel : les missions des bibliothèques. Non, il n'y a branle-bas que dans la domesticité : cette informatique dont pour nous rassurer nous ne cessons de réaffirmer la place subalterne d'outil, d'instrument, de moyen.

Ce dieu auquel était voué un culte exclusif, ce pauvre méta-instrument dont nous attendions tout et son contraire, ce panier où nous entendions mettre tous nos oeufs sans en casser aucun, c'était le système intégré de gestion de bibliothèque, que d'aucuns désignent par le sigle SIGB. Il continue à prospérer, merci pour lui, mais il n'est plus seul et partagera désormais attention, crédits, cahiers des charges, temps et tourments avec tout un panthéon.

La révolution s'est produite en deux temps.

Ce fut d'abord la multiplication et la juxtaposition de matériels, de réseaux et de logiciels incompatibles et déconnectés : accès à les bases de données locales et distantes autres que le sacro-saint catalogue local, réseaux de cédéroms, informations numériques, mais aussi plus prosaïquement outils bureautiques qui permettent d'effectuer plus vite et mieux certaines tâches d'édition et de statistiques.

Nous vivons aujourd'hui la deuxième étape, celle de l'intégration. La chose pourrait paraître effrayante : on imagine les formidables usines à gaz qu'il faudrait mettre en place pour faire tourner ensemble de systèmes différents. Elle peut par chance être beaucoup plus simple : on laisse chaque planète à sa spécificité - voire à sa vétusté. Tout ce qu'on lui demande, c'est de servir le même client. Nous sommes passés du système intégré à l'intégration de systèmes.

Oui l'architecture client-serveur est bien le modèle de ce qui est désormais un système d'information local et mondial multipolaire. Le lieu de la convergence est le poste client (voilà pour le matériel) mais plus encore le logiciel client, qui ne fait souvent rien d'autre que de demander de l'information et de l'afficher. Et nous connaissons maintenant l'identité du client universel : c'est le navigateur (browser), dont deux firmes américaines se disputent la dissémination gratuite.

A partir de là on peut moyennant les connexions nécessaires aller faire son miel n'importe où; et tout ce qu'on demande aux divers systèmes c'est d'être correctement interfacés. L'intégration c'est le triomphe du standard, et ces standards que nous avons à mettre en oeuvre sont de moins en moins spécifiques à notre profession. Certes la notice bibliographique résiste vaillamment du haut de son MARC, mais elle est priée en bout de chaîne de se reformater en HTML. Et c'est ainsi que les solutions inventées pour voir afficher à Pontault-Combault des informations venant d'Honolulu sont celles-là même qui à la bibliothèque municipale de Blois permettent l'apparition sur les écrans des notices bibliographiques de la bibliothèque municipale de Blois. C'est l'Intranet : l'utlisation des standards et logiciels inventés pour le réseau mondial mis au service du réseau local.

L'intégration permet si on le veut d'offrir à partir d'un même écran des services aussi divers que le catalogue local, des informations sur la bibliothèque, sur la ville, la consultation de CD-ROM et celles de documents numériques locaux, mais aussi tout ou partie des ressources mondiales disponibles sur Internet. Il peut paraître opportun de réserver certains postes à une utilisation ou d'y neutraliser l'accès à tel ou tel service. Au moins est-on libre d'en décider et non contraint par l'ancienne incompatibilité des systèmes. On a vu l'exemple de Blois où l'accès aux CD-ROM n'est actuellement ménagé que de certains postes et où l'accès à Internet est gratuit et limité à une sélection de site depuis tous les postes d'OPAC, mais payant et global depuis deux postes dédiés. Autre formule à la médiathèque Les Temps modernes de Taverny, où de tous les postes d'OPAC il y a aussi accès total à des pages locales d'information et à Internet, sans que cela soit autrement claironné.

Dans cette nouvelle architecture, le catalogue prend des couleurs, mais surtout il peut être donner accès à un extrait (couverture, table des matières, illustrations...) ou à la totalité d'un document. ON le dira multimédia, au vrai sens (c'est-à-dire au sens commun) du terme.

Ça se complique : les appels d'offre peuvent changer de nature, comme on l'a vu à Blois où une solution d'intégration était requise. Ailleurs, on intégrera progressivement. Les solutions sont diverses. Elles ne sont pas forcément chères, et de la plus grande à la plus petite, la mutation est possible.

Ça se complique : les clubs d'utilisateurs voient leur échapper une partie des affaires, tandis que d'autres groupement voient le jour, comme d'ADDNB (Association pour la diffusion des documents numériques en bibliothèque).

Ça se complique et l'on se sentirait intimidé chez les bibliothécaires ? J'ai envie de brandir la formule de Jean-Paul II : "N'ayez pas peur !" Chaque site progresse à son rythme, les uns essaient pour les autres, il en a toujours été ainsi.

Il y a un grand paradoxe : un sentiment de complexité croissante est souvent exprimé, quand les logiciels se font de plus en plus conviviaux et intuitifs. Ce n'est pas tant la difficulté qui intimide que le changement de repères, la montée de nouveaux standards.

Un des héros du préséminaire de Blois a été l'emploi jeune. Je n'ai pas de passion particulière pour les formes précaires du travail salarié et n'ai pas l'habitude de faire du jeunisme, mais force est de reconnaître que l'emploi de jeunes adultes dans les bibliothèques, et cette formule n'y contribue pas peu, est souvent l'occasion de dérouiller les équipes et de procéder à l'initiation tant du personnel que du public. Il n'y a pas lieu de le regretter.

On dit que devant la rapidité des mutations techniques le besoin en formation continue est grand. L'offre n'est pourtant pas négligeable d'initiations à telle ou telle technique particulière, et les stages pas toujours pris d'assaut. Mais peut-être manque-t-il notamment des formations à l'intégration, c'est-à-dire à l'approche globale du mouvement en cours.

Ce mouvement ne fait que procurer de nouvelles armes aux bibliothèques pour continuer à assurer leurs missions traditionnelles dans un environnement qui bouge. Qu'il s'agisse des ressources locales (l'Intranet) ou mondiales (l'Internet), on s'attache toujours à fournir, mettre en valeur, sélectionner, indexer l'information.

Et puisque ces temps-ci est célébré le trentième anniversaire des événements que vous savez, il est permis de dire : Ce n'est qu'un début, continuons la bibliothèque !


Publié par Dominique Lahary