Note de lecture
Accueillir et intégrer des personnels non permanents

/ sous la dir. De Frédérique Mondon. - Paris : Tec et doc ; Villeurbanne : Presses de l'Enssib, 2002. - (La boîte à outils). ISBN 2-7430-0552-1 et 2-910227-44-8
par
Dominique Lahary
in : BIBLIOthèque(s) n°5-6, décembre 2002

Ne manquez pas ce petit livre. Il donne à lire plus que ce que l'on pourrait croire, donne à réfléchir au-delà même des pistes de réflexions proposées explicitement par ses auteurs. Les éditeurs, au double sens du terme, ont souhaité aborder de façon diversifiée la question du recours aux personnels non-fonctionnaires dans les bibliothèques relevant de l'Etat ou les collectivités territoriales.

Du côté territorial sont présentées les expériences de la BMVR de Troyes (Thierry Delcourt), de la BM de Lyon (Anne Garden), de la bibliothèque de Marsannay-la-Côte, dans le Doubs (Véronique Brézault) et de la ville de Paris (Jean-Claude Utard). Et du côté de l'Etat il est question de la BnF (Fabrice Lesueur et Thierry Pardé), de la BPI (Suzanne Mallet) et de Françoise Roubaud (Université d'Artois). Au passage, le lecteur aura un aperçu très vivant des modes de gestion de ces divers établissements et de leurs spécificités, bien au-delà du thème traité. Raymond Bérard livre une introduction générale nourrie de son expérience à la BMIU de Clermont-Ferrand tandis qu'André Chauvet propose une mise en perspective et que Frédérique Mondon, l'éditeur intellectuel, rassemble les éléments de la démarche dans un mémento et livre une bibliographie.

Les emplois étudiés ? Les emplois jeunes bien sûr (Troyes, BPI, Artois, Marsannay-la-Côte, Paris), mais aussi les CES (Troyes, BPI), les vacataires (Troyes, BPI), les contractuels de l'Etat (BnF, BPI) ou ceux relevant d'une association (Lyon),les stagiaires de l'Enssib (Artois)... et les intermittents du spectacle (BnF). Les effectifs concernés ? Ils vont de deux à Marsannay-la-Côte à 1330 à BnF. Leur part dans les effectifs globaux ? Marginale dans la plupart des cas mais 44% à la BnF, 47% à la BPI, jusqu'à 41% à l'université d'Artois, si on totalise l'ensemble des non-fonctionnaires : ces chiffres ont de quoi faire réfléchir !

Quant aux attributions de ces salariés, elles sont évidemment diverses mais plusieurs ensembles dominent : la fameuse médiation, les non moins fameuses et plus très nouvelles technologies de l'information, mais aussi le rangement en rayon ou les nécessités liées à l'accueil du public en dehors des heures considérées comme normales de travail.

La plupart des contributeurs de terrains sont dans le ton de Raymond Bérard et d'André Chauvet : on n'utilise pas ce type de personnel sans une justification solide ni une sérieuse définition des profils de poste, après quoi l'on jour du diptyque formation/intégration. Ce dernier terme, bien que quasi obsessionnel (Véronique Brézault parle d'une " greffe " qui doit prendre) est d'ailleurs pris dans un sens retenu, puisque la spécificité des emplois est généralement affirmée et la banalisation des fonctions des intéressés présentée comme une dérive.

Plusieurs auteurs ne cachent pas les contradictions et les obstacles de ces démarches. Beaucoup tiennent aux réactions du personnel permanent en place, ce que confirme le chapitre consacré au livre dans un ouvrage récent sur les emplois jeunes du secteur culturel(1) . Les frottements se situent sur le plan de l'identité professionnelle, selon deux modes opposés (" c'est à nous de faire ce travail " ou " on veut nous changer le cœur de nos métiers "), mais relèvent aussi de la crainte de s'ouvrir à des pratiques ou des publics perçus comme nouveaux. Ces difficultés peuvent déboucher sur des conflits sociaux, comme à la BnF en mars 2001, où l'on a vu les contractuels revendiquer des limites à la flexibilité de leur emploi.

Le cas pourtant très fréquent des agents recrutés pour leur profil classique mais non titularisable faute de réussite à un concours n'étant absolument pas traité, deux justifications différentes du recours à des emplois non permanents sont principalement abordées :

  • compléter ou suppléer le personnel permanent notamment pour assurer des plages d'ouvertures importantes (le " volant de vacataires pour les fonctions de prêt " à Troyes, les " vacataires de rangement " et les " vacataires d'accueil " de la BPI) ;
  • approfondir et renouveler les missions des bibliothèques vers la médiation et l'usage des technologies de l'information.

Ce dernier point est le plus troublant. Anne Garden se demande si on assiste à l'émergence d'un nouveau métier, celui de médiateur. " Alors que nombre de bibliothécaires professionnels, quel que soit leur grade, placent encore le document au cœur de leur métier, les emplois-jeunes incarnent une nouvelle approche centrée sur le public et la médiation " écrit Thierry Delcourt, tandis que Jean-Claude Utard conclut que " l'objectif est d'installer la médiation dans une pérennité, assumée par l'ensemble des équipes ". Renouvellement du centre par la marge ? C'est dire si ce volume apporte une contribution précieuse à une réflexion qui mérite d'être poussée bien plus avant.

C'est en quoi il est une " boîte à idées " plus qu'une " boîte à outils ". Les repères pratiques sont en effet insuffisants. La délicate problématique des emplois de non titulaires n'est techniquement traitée (et très bien traitée par Fabrice Lesueur) que dans le cas de la BnF, par trop spécifique pour être directement utilisable dans d'autres établissements. En annexe sont succinctement présentés les CES, CEC, emplois villes et emplois jeunes, alors que les pièces suivantes auraient été bienvenues : -

  • tableau récapitulant les cas autorisés de recours à des non titulaires dans la fonction publique d'état et dans la fonction publique territoriale (lois du 11 et du 26 janvier 1984), -
  • dispositions des décrets numéros 86-83 et 88-145 relatifs aux agents non titulaires respectivement de la fonction publique d'Etat et de la fonction publique territoriale, -
  • dispositions de la circulaire du ministre de la culture n°181382 du 15 octobre 1999, -
  • dispositions de la loi Sapin n°2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l'emploi précaire, -
  • dispositions relatives aux moniteurs étudiants.

Ce volume paraît " ironiquement ", comme on dirait en anglais, au moment ou un nouveau gouvernement annonce la fin des politiques d'aide à l'emploi public, risquant de renvoyer, ce qui serait un paradoxe politique, les fonctions publiques à leurs rigidités. Puisse la redoutable question de la pérennisation d'une partie des emplois étudiés dans ce volume être l'occasion de réflexions et de décisions pertinentes.


Notes

(1) Les emplois-jeunes dans la culture : usagers et enjeux d'une politique de l'emploi / Ministère de la culture et de la communication, département des études et de la prospective. - Paris : La Documentation française, 2001. (Questions de culture). ISBN 2-11-004-978-2


Publié en ligne par Dominique Lahary