Ivan Illich et le concours de bibliothécaire
Message de Dominique Lahary à la liste de diffusion biblio-fr, 06/12/2002
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Le présent texte comporte des rectifications orthographiques par rapport à celui posté sur biblio-fr

" Passé un certain seuil, l'outil, de serviteur, devient despote. Passé un certain seuil, la société devient une école, un hôpital, une prison. Alors commence le grand enfermement. Il importe de repérer précisément où se trouve, pour chaque composante de l'équilibre social, ce seuil critique. alors il sera possible d'articuler de façon nouvelle la triade millénaire de l'homme, de l'outil et de la société. J'appelle " société conviviale " une société où l'outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d'un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l'homme contrôle l'outil. "
Ivan Illich, La convivialité. le Seuil (Points)

Ivan Illich, gloire des années 1970, vient de mourir à Brême. Je crois me souvenir que je n'avais jamais lu ni entendu le mot " convivial " avant la parution de ce livre. Aujourd'hui, la " convivialité " est partout - mais il ne s'agit que des interfaces utilisateurs - nous n'aurions alors rien compris à cette expression.

Ces mots reproduits dans Le Monde du 5 décembre 2002 m'ont sauté violemment à la figure alors que j'étais encore sous le coup d'une colère.

Il y a eu sur biblio-fr (message du 14 novembre 2001) le coup de gueule de Julienne Debarge : assez de l'obsession technicienne dans les sujets de concours ! (http://listes.cru.fr/wws/arc/biblio-fr/2002-11/msg00121.html)

Il y a eu les rencontres des 14 et 15 novembre à la BnF " Peut-on se former à la littérature de jeunesse aujourd'hui ? " où le même obsédant constat a été répété : on ne sait plus où former de futurs bibliothécaires à ce type de contenu, que le libellé des concours ignore superbement.

Et puis il y a eu cette fameuse nouvelle épreuve " d'étude de cas " du concours interne de bibliothécaire - sur biblio-fr plusieurs avaient demandé ce que c'était mais bien évidemment personne ne pouvait répondre : à partir de quelques mots jetés sur un décret, un comité réuni par le CNFPT allait inventer la chose, des bibliothécaires recrutés par le même allaient s'efforcer d'en corriger les produits, nous en sommes là.

Le sujet ? Un dossier prétendument de " réinformatisation " (en réalité un changement de version du même logiciel), chiant comme la pluie, pardonnez-moi de parler cru, ayant désespéré la plupart - je les comprends - et plongé les plus pointus dans la perplexité : datant de seulement 5 ans, il était pourtant technologiquement complètement dépassé.

Notre profession a besoin de technique, certes, je ne suis pas le dernier à le dire. Mais de la technique dominée, prise avec la hauteur suffisante, avec recul.

Elle a aussi besoin que l'arbre technologique de cache pas la forêt des missions et des contenus et l'océan du public.

Alors, coup de gueule, oui, j'en rajoute une couche après Julienne Debarge. Je me suis battu pour la professionnalisation du concours de bibliothécaire. Et j'enrage : tout ça pour ça ?

J'enrage de voir tous ces collègues qui sont dans les bibliothèques, qui se sont formés, et qui sont obligés par l'institution de dépenser une énergie folle à préparer ces concours, tout ça pour rien, pour quelques postes calculés on sait comment, on sait pourquoi ça ne peut pas marcher, j'enrage de voir ces emplois non pourvus, surtout si les collectivités tiennent absolument à les pourvoir dans des conditions statutaires, j'enrage de vivre dans un pays où l'institution est à ce point à côté des besoins, à côté de la vie, où elle impose aux acteurs des règles qui les empêchent de fonctionner.

J'enrage de voir la machine à concours pomper tant de finances du CNFPT qui seraient mieux employées pour une véritable formation permanente sur les contenus, pomper tant de temps personnel des candidats, tant de temps de travail au détriment du fonctionnement des services, tout ce gâchis absurde, absurde.

Quand est-ce qu'on arrête ?

" Conviviale est la société où l'homme contrôle l'outil " dit Illitch. Je souscris des deux mains. En précisant qu'il ne s'agit pas seulement de l'outil technique, mais aussi de l'outil institutionnel

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M. Dominique LAHARY
Bibliothécaire entré dans la profession en 1977 sans concours, parce qu'il avait obtenu le CAFB.