Paru dans Transversales n°90, printemps-été 2004

Pourquoi la BCD n’existe pas
Dominique Lahary

 

L’idée de mettre des livres à l’école peut répondre à deux objectifs louables ;

-          comme les enfants sont à l’école, mettons-y des livres pour favoriser leur usage personnel ;

-          il faut des livres au service de l’enseignement.

Et plutôt que les livres soient gérés classe par classe, il a paru évident que de les regrouper dans un endroit qu’on appelle BCD (bibliothèque centre documentaire) constituait un progrès.

Ainsi la BCD est-elle brandie comme modèle à la fois par l’institution Éducation nationale et par de nombreux bibliothécaires comme la meilleure façon de gérer la présence du livre à l’école.

Voilà pour le ciel des idées. Et sur le terrain ?

La BCD apparaît comme fragile et toujours recommencée. D’une année scolaire à l’autre, au gré de la qualité de la prise en charge collective ou individuelle au sein de l’équipe éducative, elle peut passer de la gloire à l’inexistence, vivoter, être mise en sommeil, se dissoudre dans les bibliothèques de classe, voire disparaître

Pourquoi ? Tout simplement parce que dans le système français de l’enseignement élémentaire, une école est une addition d’enseignants maîtres dans leur classe, sans supérieur hiérarchique sur place (le directeur ou la directrice n’ayant qu’un rôle administratif), tenus à n’être présents, hors quelques rares réunions de concertation, que durant les heures de classe.

C’est donc le pur hasard des engagements individuels, éventuellement coalisés dans une dynamique collective, qui permet qu’à certains moments, durant certaines années scolaires, la BCD fonctionne parce qu’il y a des gens qui la gèrent. Parfois ce sont des parents d’élèves, et l’on sait bien que cette prise en charge, pour louable qu’elle soit, dépend également, bon an mal an, des bonnes volontés individuelles.

Cela change du tout au tout quand une personne attitrée a pour mission de consacrer tout ou partie de son temps de travail à la gestion de la BCD.

Le luxe, c’est lorsque l’Éducation nationale affecte un poste d’enseignant, au moins à mi temps, à cette tâche. Cela arrive parfois.

Les communes peuvent également affecter un agent à la gestion de la BCD, qui est alors parfois ouverte au public extérieur.

Enfin les emplois jeunes auront, le temps désormais compté de leur déploiement dans l’enseignement élémentaire, permis, dans des conditions variables, entre le pire et le meilleur, permis à bien des BCD de naître ou de renaître.

Tant que dure sous une forme ou sous une autre une affectation de ressource humaine, la BCD fonctionne, bien évidemment. Sinon, elle n’est qu’une utopie qui parfois, en pointillé, se réalise.

Quelle leçon en tirer ? Tout simplement qu’une bibliothèque, ce n’est pas une collection mais (au moins) un bibliothécaire. Je ne dis pas un bibliothécaire normé, ayant tel statut, ayant suivi telle formation. Non, tout simplement quelqu’un à qui on donne le temps de gérer la collection pour qu’elle constitue une ressource pérenne et organisée mise à la disposition d’un public.

Autrement dit, la bibliothèque n’existe pas sans la médiation, celle-ci comprenant la gestion et l’organisation du fonds.

Les BCD, ou plus généralement le livre à l’école, relèvent financièrement des communes, ainsi qu’éventuellement des coopératives scolaires[1]. Or on assiste parfois à la mise en œuvre de politiques substitutives, la commune dotant les écoles de livres, au besoin généreusement, sans avoir de bibliothèque municipale ou sans affecter de moyens suffisants à celle-ci. Le livre à l’école tient alors lieu de seule politique du livre dans la commune[2].

Cela peut revenir à investir à fonds perdus, au sens où rien ne garantit l’organisation et l’utilisation pérenne des fonds ainsi constitués.

Il existe certes des cas où, par l’engagement et le talent personnels, parfois admirables, d’enseignants ou de parents, une BCD peut, à un moment donné, être un lieu de vie formidable, un outil au profit de l’appropriation individuelle par l’enfant de l’objet livre, de l’imaginaire livre, ou tout simplement, ce qui n’est déjà pas si mal, un lieu de ressources complétant et enrichissant la démarche pédagogique des enseignants. Mais cela tient du miracle toujours à recommencer.

Structurellement, une école primaire ou maternelle n’est pas faite pour que s’exerce en dehors de la classe une médiation autour du livre. Structurellement, la BCD n’existe pas.

mars 2003

Site personnel de Dominique Lahary



[1]Les coopératives scolaires constituent un étonnant exemple d'économie quasi informelle fleurissant à l'ombre de l'institution et sans lequel bien des choses ne seraient pas possible.

[2] Cette remarque ne vaut pas pour les communes trop petites pour entretenir une bibliothèque publique et qui peuvent au moins, à la mesure de leurs moyens, soutenir la lecture à l’école.