BIBLIOthèque(s)   no30, décembre 2006
Revue de l'Association des bibliothécaires de France
 

Les bibliothèques après la loi DADVSI
par Dominique Lahary, porte-parole de l'archives-bibliothèques-documentation

En résumé, le scénario d'une série à rebondissements qui a tenu en haleine - mais point jusqu'à en perdre le souffle - l'ensemble de l'Interassociation.

Le 3 août est parue au Journal officiel de la République française la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information. Ainsi était clos un épisode qui aura défrayé la chronique nationale et internationale durant plus de six mois et connu une gestation de plus de quatre ans. Personne n'aurait pu croire qu'un sujet apparemment aussi technique allait à ce point enflammer les esprits ; ni que les bibliothécaires, archivistes et documentalistes allaient y jouer un rôle, certes marginal, mais à leurs yeux décisif pour l'avenir de leurs missions.

La directive européenne

Une directive sur " l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information " a été adoptée par la Commission et le Parlement européens le 22 mai 2001. Elle a essentiellement pour objectif de favoriser " la croissance et une compétitivité accrue de l'industrie européenne " dans le domaine culturel grâce à " un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle ".

Le coeur de la directive, c'est la protection juridique des mesures de protections techniques, le plus souvent désignées sous le sigle DRM (Digital Right Management). Tout fichier électronique peut a priori être facilement copié. On a donc vu se développer des logiciels qui brident l'utilisation selon diverses modalités : impossibilité de copier, sauf sur certains matériels, chronodégradabilité, etc. La directive européenne vise à interdire le contournement de ces mesures de protection technique. Mais elle admet également, quoiqu'à titre facultatif, un certain nombre d'exceptions au droit exclusif de reproduction et de communication (voir encadré), notamment en faveur " des bibliothèques accessibles au public, des établissements d'enseignement ou des musées ou par des archives, qui ne recherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect. "

Les aventures du projet de loi français

Comme tous les États membres de l'Union européenne, la France avait obligation de transcrire dans son droit national la directive. Elle aura été l'avant-dernière à le faire, après avoir été plusieurs fois rappelée à l'ordre.

Le 12 novembre 2003, le Conseil des ministres du gouvernement Raffarin a adopté, sur proposition du ministre de la Culture et de la Communication Jean-Jacques Aillagon, le projet de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information, qu'on allait désigner sous le sigle DADVSI. Il s'agissait d'une transposition particulièrement restrictive de la directive. La répression du contournement des mesures de protection technique était sévère (jusqu'à 300 000 € d'amende et trois ans de prison). Mais le projet prévoyait également, il faut s'en réjouir, l'institution d'un dépôt légal d'Internet par prélèvement.

Deux rapporteurs ont été désignés dans chacune des assemblées : Christian Vanneste à l'Assemblée nationale et Michel Thiollière au Sénat. Mais l'examen du projet de loi n'a cessé, de mois en mois, d'être repoussé. Si bien que, pressé par la commission européenne, le gouvernement Villepin a fini par la faire inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale en procédure d'urgence les 20, 21 et 22 décembre 2006, prévoyant que l'affaire serait réglée avant la trêve des confiseurs.

Il en a été tout autrement.

À la surprise générale fut adopté un amendement instituant une licence globale qui légalisait le téléchargement de musique par le procédé de pair à pair (peer-to-peer ou P2P) moyennant la perception d'une taxe forfaitaire destinée à rémunérer les ayants-droit.

C'était un véritable coup de tonnerre. Les trois jours prévus ne suffirent évidemment pas à épuiser les débats, d'autant que le gouvernement, gravement désavoué, ne souhaitait pas en rester là. L'Assemblée nationale finit par adopter le 23 mars un texte sans licence globale, mais avec des exceptions nouvelles, notamment en faveur des bibliothèques. La répression du déchargement illicite était adoucie puisqu'elle ne devait le plus souvent se traduire que par une contravention. Et le Sénat apporta lui-même des modifications substantielles.

L'opposition et l'UDF ayant saisi le Conseil constitutionnel, ce dernier censura la simple contravention prévue en cas de téléchargement illégal par le procédé de pair-à-pair, qui finalement pourra bien valoir à ses auteurs jusqu'à 300 000 € d'amende et trois ans de prison.

L'Interassociation à l'action

Entre 2002 et 2004, s'était progressivement constituée une Interassociation archives-bibliothèques-documentation regroupant 13 associations professionnelles (voir encadré). Celle-ci mobilisa les professionnels grâce à un site web et une pétition en ligne qui recueillit plus de 7 000 signatures.

Elle rédigea de nombreux communiqués, des textes de référence et finalement des amendements et s'efforça de toucher la presse. Elle fut reçue au ministère de la Culture, et par les deux rapporteurs parlementaires du projet de loi.

Elle se groupa avec deux importantes associations pluralistes d'élus locaux : la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC) et l'Association des maires de France (AMF), avec lesquelles elle tint une conférence de presse et signa plusieurs communiqués communs. Cette alliance allait se révéler décisive dans les contacts avec les parlementaires. Elle entreprit également des démarches conjointes avec la Conférence des présidents d'université (CPU).

Les amendements rédigés par l'Interassociation s'inspiraient directement d'exceptions autorisées par la directive européenne : droit de reproduction et droit de communication pour les bibliothèques et services d'archive, et exception pédagogique. L'Interassociation souhaitait également que l'exception en faveur des handicapés concerne explicitement les " établissements ouverts au public tels que bibliothèques, archives et centres de documentation " ce qui n'était pas le cas dans la rédaction initiale.

À la veille de l'ouverture des débats, une vingtaine d'amendements reprenant ceux de l'Interassociation avaient été déposés par des députés de tous bords. Un seul eut le temps d'être défendu le 21 décembre 2005 par un député UMP et repoussé avant que l'adoption de la licence globale ne jette son coup de tonnerre.

C'est alors que le jeu s'ouvrit. Reçues au cabinet du ministère de la Culture, et non plus seulement à la Direction du livre, puis au cabinet du Premier ministre, l'Interassociation et la FNCC purent enfin aborder la question des exceptions. Et c'est le gouvernement lui-même qui, lorsque les débats reprirent le 7 mars au Palais-Bourbon, proposa une exception de reproduction, assortie de restrictions qui furent levées par l'adoption d'un amendement socialiste.

Le Sénat, dont la commission des affaires culturelles avait auditionné l'Interassociation, approfondit la question. Il précisa les finalités de la reproduction : la conservation et la communication sur place. Il institua un collège des médiateurs pouvant être saisi notamment en cas d'empêchement de l'exercice des exceptions par les DRM. Il introduisit enfin l'exception pédagogique dont furent finalement malheureusement exclues, par la commission mixte paritaire des deux assemblées, les partitions et les " oeuvres réalisées pour une édition numérique de l'écrit ".

Et maintenant ?

La mobilisation des archivistes, bibliothécaires et documentalistes sur la loi DADVSI a représenté un moment exceptionnel à plusieurs égards. Elle a permis d'obtenir des résultats incontestables alors que la situation paraissait au départ désespérée. Elle a été l'occasion d'une alliance étroite et déterminée avec les associations d'élus locaux et s'est traduite par une reconnaissance officielle allant bien au-delà du traditionnel dialogue avec les directions ministérielles spécialisées, puisque c'est avec les cabinets, jusqu'à celui du Premier ministre, que le dossier fut examiné, ainsi qu'avec des parlementaires des deux assemblées. La mobilisation professionnelle a été d'autant plus remarquable que la compréhension des enjeux n'était pas aisée.

Le numérique a ceci de particulier qu'il nourrit - à juste raison - des espoirs ou des craintes contraires. Il peut, c'est vrai, signifier la copie facile, parfaite, rapide. Mais il peut également être le contraire : la limitation et le contrôle des usages, en particulier grâce aux DRM.

Dans certains milieux de l'édition, on craignait que l'objectif des bibliothécaires ne fût de se livrer à une diffusion incontrôlée, sur Internet, d'oeuvres numérisées par elles. Il s'agissait tout bonnement de garantir que, dans l'univers numérique, les missions reconnues des bibliothèques, que sont la conservation et la communication, pourraient continuer d'être assurées.

Il faut savoir que la directive de 2001, dont beaucoup pensent qu'elle est déjà dépassée, fait l'objet d'une procédure de révision par la Commission européenne. En attendant, l'Interassociation travaille sur un texte de nature déontologique, précisant les bons usages à recommander en matière de numérique.

L'INTERASSOCIATION ARCHIVES-BIBLIOTHÈQUES-DOCUMENTATION
AAF : Association des archivistes français.
ABF : Association des bibliothécaires de France.
ACB : Association des conservateurs de bibliothèques. ACIM : Association de coopération des professionnels de l'information musicale.
ADBDP : Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt.
ADBGV : Association des directeurs des bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes de France.
ADBS : Association des professionnels de l'information et de la documentation.
ADBU : Association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation.
ADDNB : Association pour le développement des documents numériques en bibliothèque.
AIBM-France : Association internationale des bibliothèques, archives et centres de documentation musicaux, groupe français.
APRONET : Association des professionnels Internet des collectivités publiques locales.
FILL : Fédération interrégionale pour le livre et la lecture.
IB : Images en bibliothèques.
Site : http://droitauteur.levillage.org
Courriel : contact [at] droitauteur.levillage.org

Les exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins

Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) reconnaît aux auteurs d'oeuvres de l'esprit et aux titulaires de droits voisins (artistes interprètes, producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, entreprises de communication audiovisuelle) un droit exclusif d'autorisation de reproduction et de communication au public sous toutes ses formes et sur tout support. Avant le vote de la loi DADVSI, il prévoyait quelques exceptions à ce droit exclusif comme les représentations privées et gratuites dans le cercle de la famille, les copies réservées à l'usage privé du copiste ou les courtes citations.

Une exception dispense de la demande d'autorisation mais peut être compensée financièrement.

Les nouvelles exceptions dans le CPI par la loi DADVSI et concernant directement les bibliothèques introduites sont les suivantes :

  • L'exception de reproduction à des fins de conservation et de communication sur place. Est dispensée d'autorisation " la reproduction d'une œuvre " ou " d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme ", " effectuée à des fins de conservation ou destinée à préserver les conditions de sa consultation sur place, par des bibliothèques accessibles au public, par des musées, ou par des services d'archives, sous réserve que ceux-ci ne recherchent aucun avantage économique ou commercial. ", On peut penser que ces dispositions permettent notamment la reproduction :
    • de documents électroniques qui seraient conservés sur des supports ou dans des formats obsolètes, afin de garantir la conservation du contenu et l'accès à celui-ci ;
    • de documents fragiles ou précieux afin que l'accès à leur contenu ne porte pas atteinte à l'intégrité du document original ;• de documents qui ne font plus l'objet d'une exploitation commerciale ;
    • de documents audiovisuels.
    Elles devraient également permettre la communication sur place au moyen d'ordinateurs des documents ainsi reproduits. Mais la formulation " destinée à préserver les conditions de sa consultation sur place ", introduite par un amendement sénatorial visant à éviter des reproductions substitutives à l'achat, introduit une restriction dont la portée sera à apprécier.
  • L'exception de reproduction destinées aux personnes handicapées. Sont libres " la reproduction et la représentation [...] en vue d'une consultation strictement personnelle de l'oeuvre par des personnes atteintes de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant, et dont le niveau d'incapacité est égal ou supérieur à un taux fixé par décret en Conseil d'État. [...] par les personnes morales et les établissements ouverts au public tels que bibliothèques, archives, centres de documentation et espaces culturels multimédia dont la liste est arrêtée par l'autorité administrative. " Ces dispositions pourraient permettre aux bibliothèques, sous réserve qu'elles figurent sur une liste établie par le ministre de la Culture, de proposer des modes de consultation ou d'écoute adaptés à certains handicaps, à partir de fichiers déposés " auprès d'un organisme désigné par décret qui les met à leur disposition dans un standard ouvert ".


   Publié en ligne par Dominique Lahary
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