BIBLIOthèque(s)   no71-72, décembre 2013
Revue de l'Association des bibliothécaires de France
 

Dossier Bibliothécaires et décideurs :
Universités et collectivités territoriales : deux régimes politiques différents
par Dominique Lahary et Christophe Pérales

En apparence, les régimes politiques des universités et des collectivités territoriales sont proches. Dans le deux cas, un corps électoral élit un conseil qui désigne en son sein un chef de l’exécutif. L’administration dispose d’un directeur général et la bibliothèque est un des services qui la compose.

En réalité, les systèmes de légitimité sont très différents et la place de la bibliothèque et de sa direction en rien comparable.

Voyons cela de plus près.

L’assemblée délibérante

C’est elle qui adopte le budget de l’institution et prend toutes les décisions relevant de sa compétence.

Dans les collectivités territoriales, elle est élue par le suffrage universel des habitants et non de tous les acteurs et usagers du territoire (étudiants, entrepreneurs et travailleurs, utilisateurs d’équipements culturels, de loisir ou commerciaux) : c’est la « démocratie du sommeil » (1).

Seuls diffèrent les systèmes électoraux : scrutin de liste dans les communes(2) et les régions avec fusions possible entre les deux tours et majorité absolue des sièges attribuée à celle arrivée en tête même si elle n’a obtenu qu’une majorité relative de voix, afin d’éviter les majorités introuvables ; scrutin uninominal par canton dans les départements(3). Les conseillers communautaires des établissements publics intercommunaux sont élus au second degré par les conseils municipaux(4).

Dans les universités, le conseil d’administration est dans un premier temps élu par les différents collèges désignant chacun leurs représentants : professeurs d'université, autres enseignants, BIATS(5) et étudiants. Les collectivités territoriales désignent deux membres dont un au moins représente la région. Les organismes de recherche en lien avec l'université en désignent un. Après appel public à candidature, le conseil ainsi composé choisit pour le rejoindre 4 ou 5 personnalités (dont au moins un directeur général d'entreprise, un représentant d'une entreprise d'au moins 500 salariés, un représentant d'une organisation représentative de salariés, un représentant d'établissement secondaire). Le CA ainsi complété comprend 24 membres au moins et 36 au plus.

En outre, les universités disposent toujours d’un conseil des directeurs des composantes (facultés, IUT, écoles….) et parfois d’un comité de direction qui peut être la véritable instance décisionnaire. Le conseil des composantes peut à l’occasion en tenir lieu.

Dans les collectivités territoriales, les listes présentées au suffrage des électeurs correspondent à des projets distincts. Elles ont souvent une coloration politique sauf éventuellement dans les petites communes.

Dans les universités, il peut y avoir plusieurs listes pour les élections au conseil d’administration. Généralement au nombre de deux, elles ont rarement une connotation directement politique. Chaque liste doit obligatoirement représenter tous les secteurs disciplinaires de l'établissement (Sciences, Lettres et Sciences humaines, Droit-Eco, Santé),

La loi Fioraso(6) a en outre instauré dans chaque université un Conseil académique, réunion des anciens Conseil des études et de la vie étudiante et Conseil scientifique, chargé comme eux de donner au conseil d’administration un avis consultatif sur les questions de formation, de recherche et de vie étudiante.

L’exécutif

Dans les collectivités territoriales, l’assemblée délibérante élit en son sein le maire (communes) ou le président (établissements publics intercommunaux, départements, régions) mais aussi les maires-adjoints ou vices-présidents, qui recevront ensuite du maire ou président délégation de certains dossiers.

Le maire ou président est l’autorité territoriale. Il est personnellement à la tête de l’administration et prend des arrêtés. Par exemple, en matière de personnel, seule l’assemblée peut créer, transformer ou supprimer des postes, mais seul le maire ou président recrute, promeut, révoque. L’assemblée adopte le budget mais le maire ou président, et par délégation d’autres élus ou des membres de l’administration, engagent les dépenses et signent les bons de commande.

Dans les universités, le président est élu pour 4 ans (renouvelable immédiatement une fois) à la majorité absolue des membres du conseil d’administration (dont il n’est pas forcément issu) parmi les enseignants-chercheurs, chercheurs, professeurs ou maîtres de conférences, associés ou invités, ou tous autres personnels assimilés, sans condition de nationalité

C’est le président de l’université qui désigne lui-même ses vices-présidents. Le Code de l’éducation de mentionne que le vice-président étudiant, qui assiste obligatoirement le président du conseil académique. Les autres vices-présidents, dont les modalités de désignation peuvent être fixées dans le statut de l’établissement, sont dans la pratique enseignants-chercheurs, enseignants ou chercheurs.

Le président de l’université a autorité selon la loi sur l’ensemble des personnels, mais le statut à part des enseignants-chercheurs limite grandement dans les faits son autorité sur cette catégorie de personnels (voir ci-dessous).

Le personnel salarié

Toute collectivité territoriale dispose d’un directeur général des services (DGS). Cette appellation s’est généralisée récemment alors qu’auparavant on parlait dans les communes de secrétaire général voire, dans les plus petites, de secrétaire de mairie (éventuellement à temps non complet). C’est le salarié le plus haut placé dans la hiérarchie. Il est nommé par le maire ou président et peut être un fonctionnaire ou un contractuel. Dans le premier cas, il est détaché dans cet emploi fonctionnel dont il peut être relevé au terme des six mois suivant une nouvelle élection. Le régime est le même pour les éventuels directeurs généraux adjoints (DGA). Tous les agents fonctionnaires ou contractuels de la collectivité sont placés sous l’autorité d’un DGS ou DGA sauf les membres de l’éventuel cabinet du maire ou président.

L’ensemble du personnel fonctionnaire et contractuel est recruté par le maire ou président parmi les personnes répondant aux offres d’emploi. Les lauréats d’un concours sont librement choisis sur la liste d’aptitude publiée à son issue. Les fonctionnaires d’une autre collectivité territoriale sont mutés sur décision unilatérale de la collectivité d’accueil.

Les recettes et dépenses de la collectivité, instruites par son administration, sont effectuées par celle de l’administration des finances publiques de l’État, afin de respecter le principe de la séparation, de l’ordonnateur et du comptable.

Toute université dispose également d’un directeur général des services nommé par le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche sur proposition du président (cette appellation s’est substituée à celle de Secrétaire général suite à la loi LRU(7). Mais seuls les BIATS sont placés sous son autorité. Les enseignants-chercheurs jouissent parmi les fonctionnaires d’un statut à part : recrutement par les pairs, nomination par arrêté ministériel, affectation par le Président sur proposition du Conseil académique, liberté pédagogique et scientifique garantie par les PFRLR(8), obligation de service fixée par le président de l’université sur proposition du conseil de composante (faculté, IUT, etc.), pouvoir de sanction confié à la section disciplinaire du Conseil académique de l’établissement, évaluation, promotion et avancement dépendant du seul Conseil national des Universités (CNU) dont les membres sont pour un tiers nommés par arrêté ministériel et pour deux tiers élus par leurs pairs enseignants-chercheurs.

La nomination, la promotion ou la mutation des personnels BIATS est prononcée par la tutelle ministérielle ou ses services déconcentrés à l’issue des commissions administratives paritaires nationales (CAPN) ou académiques (CAPA) selon les filières. Depuis la loi LRU de 2007, le Président peut mettre son veto à une nomination, mais à condition de motiver sa décision. C’est le Président qui affecte l’ensemble des personnels de l’établissement.

L'agent comptable de chaque université est nommé, sur proposition du président ou du directeur, par un arrêté conjoint du ministre chargé de l'enseignement supérieur et du ministre chargé du budget.

La place des bibliothèques

Dans les collectivités territoriales, la bibliothèque n’est qu’un service parmi d’autres. Son personnel salarié est généralement placé sous l’autorité d’un chef de service, éventuellement dénommé directeur, qui relève obligatoirement du DGS, soit directement, soit indirectement. Dans ce cas la hiérarchie auquel il est soumis peut comprendre un directeur des affaires culturelles (DAC) et un DGA, mais il peut exister un échelon de plus et la répartition des domaines de compétences entre ces échelons intermédiaires peut varier.

Le personnel fonctionnaire ou contractuel d’une collectivité territoriale n’a pas le droit d’être un élu de cette même collectivité. Cet interdit permet la claire distinction entre le domaine politique et le domaine professionnel. Il en va différemment pour les bénévoles qu’on rencontre fréquemment dans les communes rurales, que rien n’empêche d’être élus, de la majorité comme de l’opposition, ni même d’être maire ou adjoint. Il est vrai que dans les plus petites communes, faute de personnel suffisant, les élus sont souvent amenés à effectuer directement certaines tâches.

Dans les universités, le personnel des bibliothèques relève réglementairement du directeur de la bibliothèque, qui lui même relève du président, mais pas forcément directement(9).

Dans la pratique, le positionnement du directeur de la bibliothèque est très variable. Il peut être placé sous l’autorité directe du président ou d’un vice-président. Ce peut être celui qui est chargé de la documentation, même si l’existence de cette délégation n’est pas générale.

Rien n’empêche un président d’université de placer par délégation le directeur de la bibliothèque sous l’autorité du DGS. Mais ce positionnement le coupe de l'enseignement et de la recherche ce qui ne lui permet pas de conduire ses missions en lien étroit avec son écosystème naturel.

Enfin, le directeur de la bibliothèque siège fréquemment au conseil d’administration et au conseil académique, même si la loi n’en fait plus une obligation.

Sources consultables sur http://www.legifrance.gouv.fr autres que celles citées en note :


Notes

(1) Expression proposée par le sociologue Jean Viard.

(2) Dans les communes de moins de 3 500 habitants (1 000 à partir des élections municipales de 2014), les noms peuvent être rayés et les listes panachées.

(3) Les élections « départementales » (et non plus « cantonales ») du printemps 2014 pour l’élection des conseillers « départementaux » (et non plus « généraux ») devraient voir la mise en place d’un scrutin binominal par canton élargi, les candidatures étant obligatoirement composées d’un ticket associant une femme et un homme.

(4) Les élections municipales et intercommunales de mars 2013 vont voir l’élection directe, sur listes communales, des conseillers communautaires, chaque liste de candidats à l’élection municipale devant être associée à une liste d’une partie des mêmes candidats à l’élection intercommunale.

(5) BIATS : personnels des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, de service.

(6) Loi n°2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite loi Fioraso, du nom de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

(7) Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.

(8) Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, qui forment, avec la Constitution proprement dite, ce que les juristes appellent le « bloc de constitutionnalité ».

(9) Décret n° 2011-996 du 23 août 2011 relatif aux bibliothèques et autres structures de documentation des établissements d'enseignement supérieur créées sous forme de services communs.


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   Publié en ligne par Dominique Lahary
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