BIBLIOthèque(s)   no90-91, Décembre 2017
Revue de l'Association des bibliothécaires de France
 

Rubrique Et aussi... :
Une nouvelle donne territoriale pour les bibliothèque ?
par Dominique Lahary

Ce texte a été écrit en écho à la conférence inaugurale prononcée le 15 juin 2017 à Paris lors du 63e congrès de l'ABF.

La conférence inaugurale de Philippe Estèbe intitulée La nouvelle donne territoriale a fait forte impression auprès de nombre de congressistes(1). Soulignant la spécificité de l’espace humain français par rapport à ses voisins européens ayant connu un exode rural plus précoce et plus massif, avec un éparpillement bien plus considérable de la population et une relative faiblesse des villes. Ce phénomène a marqué notre vie politique, avec un nombre exceptionnel de communes et un principe d’égalité devant les services publics se révélant coûteux. Or les façons de vivre ont changé. 80% de la population active ne travaille pas dans sa commune de résidence, la moitié des actifs en change au moment de la retraite. La gouvernance des territoires se recompose sur une base intercommunale, notamment. « L'Ancien régime ne reviendra plus » conclut Philippe Estèbe.

Le conférencier assume de ne pas s'être penché sur le cas des bibliothèques. Ne lui en tenons pas rigueur : l'essentiel est qu'il ait su transmettre une analyse globale sur le territoire français. À nous de faire le lien avec les bibliothèques. C’est à quoi je me suis attaché tant son propos m’a paru jeter une lumière crue sur l’histoire récente de la lecture publique.

Les bibliothèques publiques se sont longtemps développées dans le cadre quasi exclusif de la commune, considérée comme responsable du fait d'entretenir ou non une bibliothèque municipale. Près de la moitié le font, selon le rapport de l'Inspection générale des bibliothèques sur l'équipement des communes et de leur groupement(2). C'est ce qui permet d'arriver au chiffre de 17 000 bibliothèques ou points de lecture. Et qui pourtant paraît encore insuffisant puisque nous pensons, avec l'Inspection, qu'il y a encore des trous dans le maillage.

Dès 1945 a été inauguré un dispositif de solidarité nationale en faveur des petites communes : les bibliothèques centrales de prêt, créés progressivement dans chaque département sauf à Paris et dans la première couronne d'Ile-de-France entre 1945 et 1985 pour soutenir les communes de moins de 15 000, 20 000 et finalement 10 000 habitants. Un moment chargées d'une politique substitutive avec des bibliobus de prêt direct, elles se sont en majorité, sur instruction ministérielle, tournées prioritairement vers le soutien aux bibliothèques des communes. Ce qui a conforté ce réseau dense de bibliothèques parfois gérées par des associations et en dessous de 3 000 habitants animées essentiellement par des bénévoles. Des bibliothèques aux locaux souvent exigus et aux horaires réduits et qui constituent une particularité française.

Le décalage entre l'échelon gestionnaire des bibliothèques locales et l'espace de vie des populations est apparu croissant. Les personnes ayant recours aux bibliothèques les ont mises en concurrence et se sont fractionnées en publics différents, le public de proximité, principalement les jeunes enfants, les parents isolés, les personnes les plus âgées, n'a recours qu'à la bibliothèque de sa commune. Les collégiens sont ailleurs quand le collège n'est pas dans leurs communes. Les adultes ayant une activité professionnelle fréquentent à l'occasion une bibliothèque proche de leur lieu de travail. Enfin, à l'échelle d'une agglomération, une partie du public, bénéficiant en majorité d'un capital culturel, fréquentent un ou des médiathèques attractives de centre-ville ou du moins de la ville centre.

La persistance d'une gestion municipale sans coopération intercommunale faisait perdurer l'illusion que chaque bibliothèque avait vocation à attirer l'ensemble de la population communale et devait par conséquent proposer une collection encyclopédique. La reconfiguration de la gouvernance territoriale trouve dans les domaines des bibliothèques une illustration éclatante.

Préfigurées lors de la mise en place des villes nouvelles au tournant des années 1970, les différentes solutions intercommunales (transfert de compétence complète ou partielle, mise en réseau informatique permettant sur la base d'une carte unique et grâce à des portails communs et des navettes une circulation des ressources physiques et numériques et des usagers) se déploient progressivement à travers le pays depuis la loi Chevènement de 1999. Les repérimétrages successifs provoqués par les lois de réforme territoriale entre 2010 et 2016 ont à la fois tracé le contour définitif de ces développements possibles et ça et là compliqué dans un premier temps l'agencement des solutions quand un nouveau périmètre réunit des territoires aux historiques coopératifs opposés.

Le cadre intercommunal permet de déployer et d'organiser les équipements et services à une échelle plus ou moins proches des bassins de vie en transformant la concurrence en complémentarité politiquement pilotée. Il apparaît avec évidence que seule la mise en réseau peut sans l'atteindre aller plus avant vers une égalité des personnes devant l'accès aux locaux et ressources, tout en maintenant un maillage fin (à un quart d'heure disons-nous) sous des formes diversifiée (y compris de petits équipements et points de service polyvalents) où l'attractivité de grandes et moyennes médiathèques constitue un point d'appui au service de tous.

C'est aussi le réseau qui peut permettre de maintenir et même d'étendre le nombre et la qualité des services dans un contexte financier contraint pour les collectivités, en améliorant efficience de l'organisation. Quant aux départements, lointains héritiers d'un dispositif compensatoire d’État, ils ont à se repositionner dans l'appui à la construction des réseaux intercommunaux tout en assumant, selon le principe de subsidiarité, des tâches et fonctions qui sont les plus efficaces à ce niveau.

Une nouvelle ère commence, ou plutôt, elle a déjà commencé mais mettra du temps à se mettre en place partout, car elle exige que changent bien des façons de concevoir les services et de les mettre en œuvre.


Notes (seule la note n°2 a été publiée dans la revue)

(1) « On en écoutera avec profit la captation vidéo sur le site de l’ABF à la rubrique Congrès, .

(2)  L'équipement des communes et groupements de communes en bibliothèques : lacunes et inégalités territoriales, Inspection générale des bibliothèques, 2015..


Sommaire de ce numéro


   Publié en ligne par Dominique Lahary
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